Livre numérique accessible à l’horizon 2025 : quels moyens pour quels impacts ?
La Directive du Parlement européen datant de 2019, portant notamment sur l’accessibilité des livres numériques, sera appliquée dans tous les pays de l’Union européenne à partir du 28 juin 2025. Qu’apporte cette nouvelle loi sur la meilleure praticabilité des livres par les personnes malvoyantes ? Nous verrons en trois temps les changements qu’elle entraînerait, sur quels critères elle se baserait pour asseoir son application dans la chaîne du livre ainsi que ses réels impacts sur les lecteurs.
Accès Livre – Salon du Livre de Paris 2015
L’adaptation des livres édités en version papier sous format numérique accessible à tous les lecteurs sera désormais obligatoire pour toutes les maisons d’édition européennes. Une bonne nouvelle en matière d’accès au livre pour les citoyens les plus en difficulté ; un pas important vers l’ouverture de la lecture à l’attention de ce public.
Une loi qui amorce un virage important vers le numérique dans le domaine de l’édition
D’après les chiffres du Ministère de la Culture, on compte près de 820 000 personnes « empêchées de lire » en France[1]. Aujourd’hui, ces personnes-là se voient obligées de faire la demande auprès d’une association spécialisée, agréée par le ministère de la Culture, en cas de non disponibilité d’un livre en version accessible. L’association se charge alors de récupérer le fichier auprès de la Bibliothèque Nationale de France afin de l’adapter. Cette opération est rendue possible par l’absence de droits d’auteur applicables sur le livre en question. C’est pour cette raison que la nouvelle loi signe une véritable révolution pour les personnes en difficulté. Elle assure l’accès aux mêmes livres à tous les citoyens, qu’ils soient malvoyants ou non, au même moment : celui de leur parution[2].
Auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, tous les métiers de la chaîne du livre sont concernés par les exigences posées par le gouvernement. Afin de faciliter la tâche et accompagner les professionnels du secteur, le site Internet « Livre numérique accessible 2025 » (ou « Lina2025 », https://www.lina25.fr/) a été mis en place. Il rappelle les grandes lignes de la loi et précise le but de sa création : « Ce site constitue une base de connaissance pour les acteurs de la chaîne du livre numérique, afin de leur apporter les outils nécessaires à une démarche réussie, qu’il s’agisse de concevoir, produire, décrire, distribuer des contenus, créer ou sélectionner des outils de lecture accessibles. Il est issu du travail du comité de pilotage interministériel pour le développement d’une offre de livres numériques nativement accessibles aux personnes en situation de handicap[3] ».
Pour arriver au texte cohérent qui a été dévoilé par le ministère de la Culture, un comité de pilotage a d’abord été mis en place. Il comprend les professionnels de la chaîne du livre numérique, les associations de personnes en situation de handicap ainsi que les ministères en charge de la culture et des personnes en situation de handicap. Ensuite, le comité s’est chargé d’harmoniser dans une nouvelle loi datant du 9 mars 2023 les deux textes juridiques, l’un français, l’autre européen. La prochaine étape en vue concerne le recensement de tous les livres numériques nativement accessibles dans le portail de l’édition dite accessible et adaptée[4].
Critères et exigences posés par le gouvernement : qui est réellement concerné ?
Il y a en effet une grande nécessité d’avoir des opérateurs économiques, et notamment des éditeurs très motivés et engagés. Si tous se montrent assez enthousiastes à l’idée du livre plus inclusif, ils émettent toutefois des réserves quant à leurs compétences en la matière et leur manque d’expérience. De plus, à cause de certaines exigences non clairement énoncées, les éditeurs craignent de perdre de l’argent[5].
Cependant, la loi prévoit des possibilités d’exemption. Elles concernent d’abord des livres édités par des micro-entreprises, soit celles qui comptent moins de 10 personnes employées et réalisent moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires[6]. Ensuite, des livres numériques « dont la mise en accessibilité implique une modification fondamentale[7] »[8]. Enfin, des livres numériques « dont la mise en accessibilité implique une charge disproportionnée[9] »[10]. Cette dernière pourrait être calculée en prenant en compte « le rapport entre les coûts nets de la conformité avec les exigences en matière d’accessibilité et les coûts totaux », « l’estimation des coûts et des avantages pour les opérateurs économiques […] par rapport à l’avantage estimé pour les personnes handicapées » et « le rapport entre les coûts nets de la conformité avec les exigences en matière d’accessibilité et le chiffre d’affaires net de l’opérateur économique »[11].
La directive prévoit également des possibilités d’aménagement des exigences pour des secteurs tels que les bandes dessinées, les livres jeunesse ou encore les livres d’art. Elle ne précise cependant pas lesquelles. La Fédération des éditeurs européens a interrogé la Commission européenne sur ce sujet[12] précisant que les professionnels du secteur sont en droit d’avoir des précisions indispensables.
Pour les maisons d’édition qui ne sont pas éligibles aux exemptions détaillées ci-dessus, le gouvernement prévoit des sanctions en cas de manquement aux obligations d’accessibilité : les opérateurs économiques risquent une amende de 5e classe, soit 1500 euros, un montant qui augmentera avec la récidive. Le secteur du livre numérique devra donc se conformer aux exigences d’accessibilité, sous l’œil attentif de l’Arcom.
Quels seront les impacts réels du nouveau règlement ?
Le Ministère de la Culture a fait ses comptes : si environ 32 000 nouveaux titres de livres numériques par an paraissent sur le marché français, il estime le fonds de 2025 à quelque 534 000 livres numériques. La différence est vertigineuse. Pour y arriver, le comité de pilotage entend tout d’abord sensibiliser les auteurs aux enjeux de l’accessibilité ainsi que former les éditeurs et changer leurs pratiques. Ensuite, il s’agit de s’assurer de la bonne diffusion-distribution. Enfin, il faut impérativement simplifier l’équipement en technologie de lecture numérique et faciliter son accès pour mieux accompagner l’utilisateur.
La tâche ne s’avère pas aussi aisée, d’autant plus que l’application de la directive se traduira par des impacts sur l’ensemble des acteurs de l’écosystème, quelle que soit l’ampleur de la transformation à conduire sur leur chaîne de production. En ce qui concerne le paysage d’acteurs et sa diversité, l’étude[13] qu’ont menée le Ministère de la Culture et le cabinet Accenture relève plusieurs points : un possible renforcement des « sous-traitants disposant des capacités d’automatisation et d’industrialisation » ainsi que celui « des acteurs proposant des solutions permettant aux éditeurs de faciliter voire automatiser leur production de livres numériques »[14].
En revanche, il pourrait y avoir un « affaiblissement du positionnement des maquettistes et graphistes indépendants ou au sein des éditeurs acteurs confrontés à un virage numérique fort requérant, pour être pris avec succès, un effort de formation et de conduite du changement conséquent, sur les volets accessibilité mais également numérique plus largement »[15]. Toutes ces considérations devront être prises en compte et étudiées après la mise en place effective de la loi, soit le 28 juin 2025, afin de ne pas fragiliser le système bien établi depuis plusieurs décennies.
Quant à l’impact sur le lectorat, il ne peut être que positif. Néanmoins, le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (le CNCPH) reste assez dubitatif en ce qui concerne les exemptions : dans son avis datant du 26 mai 2023, il souligne que l’exclusion des micro-entreprises « pourrait s’avérer problématique ». En effet, comme nous l’avons déjà signalé, elles sont nombreuses à œuvrer dans le secteur de l’édition. ActuaLitté rapporte que d’après CNCPH, leur exemption « pourrait représenter un frein important à la mise à disposition d’une offre disponible et numérique accessible »[16].
Dans ce même avis, le conseil national met en lumière la nécessaire accessibilité des sites de vente et de prêt, mais aussi « la compatibilité entre les matériels utilisés par les personnes handicapées avec les formats nativement accessibles et les éventuelles mesures de protection numériques — un point soulevé dans la directive européenne ». Enfin, l’attention du ministère porte plus particulièrement sur l’instance consultative : l’accessibilité native ne doit pas remettre en question l’exception handicap au droit d’auteur, « pour que chacun puisse continuer à lire selon ses préférences »[17].
Si tous les critères ne sont pas encore réunis, si les limites de cette loi n’ont pas encore été clairement définies, l’espoir de voir la littérature accessible à tous les citoyens européens prend forme. Les lignes directrices de la loi sont posées. De plus, l’enthousiasme et la volonté de rendre les livres accessibles par le plus grand nombre des professionnels du secteur laissent à penser que, malgré les difficultés administratives que pose la mise en place de la nouvelle règlementation, la littérature a un bel avenir devant elle, encore plus inclusif. L’objectif de la loi étant de créer « un écosystème de l’édition accessible à tous[18] », elle promeut entre autres la recherche et l’innovation technologique.
[1] https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Livre-numerique-accessible-un-defi-a-l-horizon-2025
[2] Notons que la date du 28 juin 2025 concerne les ouvrages nouvellement publiés. Pour les titres parus antérieurement, l’obligation d’accessibilité s’appliquera à compter du 28 juin 2030.
[4] Les livres nativement accessibles sont ceux qui paraissent en même temps que les livres en format papier.
[5] Chiffres du SNE (Syndicat national de l’édition, https://www.sne.fr/actu/laccessibilite-des-livres-pour-les-personnes-empechees-de-lire/)
[6] Notons que ce type de dispense touche 80% d’entreprises en France.
[7] https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Documentation/Economie-du-livre/Etudes-et-rapports/Impacts-des-dispositions-de-la-directive-accessibilite-sur-le-secteur-du-livre-numerique
[8] Notons que l’accord n’a pas encore été trouvé sur les différents degrés de modification de contenu que pourrait entraîner la mise en accessibilité.
[9] https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Documentation/Economie-du-livre/Etudes-et-rapports/Impacts-des-dispositions-de-la-directive-accessibilite-sur-le-secteur-du-livre-numerique
[10] Notons que le seuil de la chargée disproportionnée n’a pas encore été fixé.
[11] https://actualitte.com/article/113019/edition/livres-numeriques-nativement-accessibles-un-decret-du-concret
[12] https://fill-livrelecture.org/livre-numerique-accessible-2025-un-site-internet-pour-accompagner-ladaptation-de-toute-la-filiere/
[13] L’étude menée par le cabinet Accenture avec le ministère de la Culture analyse les impacts des dispositions de la directive sur la production de livres numériques et identifie les moyens à mettre en œuvre pour réussir cette transition vers le livre numérique nativement accessible, https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Documentation/Economie-du-livre/Etudes-et-rapports/Impacts-des-dispositions-de-la-directive-accessibilite-sur-le-secteur-du-livre-numerique.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] https://actualitte.com/article/113019/edition/livres-numeriques-nativement-accessibles-un-decret-du-concret
[17] Ibid.
[18] https://actualitte.com/article/99023/usages-numeriques/accessibility-act-en-2025-les-livres-europeens-devront-etre-accessibles-a-tous
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
kakurinao (20 septembre 2024). Livre numérique accessible à l’horizon 2025 : quels moyens pour quels impacts ? Monde du Livre. Consulté le 3 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12bxm