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Monde du Livre

Quand la réalité dépasse la fiction…  

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Source : https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/science-fiction-ready-player-spielberg-nous-plonge-realite-virtuelle-70896/ 

Début octobre 2019 se tenait le festival du livre suisse à Zurich qui a révélé au monde entier le projet GO aussi appelé LOST 360° du fait de son lien avec le roman de Klaus Merz (LOST) dont il est une adaptation directe. Point de départ de l’adaptation livresque en réalité virtuelle. Ces deux concepteurs Roman Vital réalisateur et Sandro Zollinger scénariste, tous deux issus du milieu du 7ème art, proposent un transport au sens littéral du terme dans l’œuvre de Merz au travers de 12 extraits de son roman culte animés pour l’occasion. Le spectateur, d’habitude passif, est ainsi téléporté par le biais d’un casque de Réalité Virtuelle et devient un protagoniste du roman pendant 25 min. Il s’agit ici de repousser les limites du cinéma proposé par André Bazin en cherchant à recréer une réalité au réalisme toujours plus poussé.    

Souvent opposées, technologie et littérature se rencontrent via cette expérience sensorielle immersive de pointe où les descriptions prennent vie au son de la voix off de l’auteur rejoignant le principe phare de l’audiobook. La création hybride de ce projet connecte les différents arts entre eux à mi-chemin entre le théâtre, le cinéma et la littérature. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une présentation au festival de Sundance en janvier 2020. La découverte in medias res de l’univers fictif peut surprendre, pourtant c’est loin d’être le premier projet qui emprunte la voie de la VR pour proposer une autre forme de narration et changer nos modèles de lectures. Selon les premiers testeurs de l’expérience cette avancée pourrait participer à une plus grande démocratisation de la littérature auprès des non-lecteur. Le projet GO n’est d’ailleurs pas sans précédent puisque l’application Joystick, développée par des étudiants de Boston, avait notamment pour but de proposer une reconstitution des pérégrinations de James Joyce dans son roman Ulysse incitant le lecteur à la contemplation, la rêverie et la promenade au sein même de Dublin.

Comment expliquer cet intérêt dans le domaine littéraire pour la VR, quelles formes revêt-elle et quelles conséquences économiques, sociales et physiologiques ont-elles ?

Le courant des années 2016-2020 a en effet été porteur d’innovations et d’intérêt croissant pour cette technologie révolutionnaire qui a fait fureur dans le monde des jeux vidéo. Les dispositifs l’Oculus Rift, le HTC Vive ou encore le Playstation VR se sont en effet multipliés. Les expérimentations intitulées “humanités numériques” se sont donc infiltrées dans notre quotidien pour toucher tous les domaines allant du récréatif en passant par le pédagogique et même celui de la santé au travers d’utilisations thérapeutiques. On assiste alors à une multiplication des opportunités pour le livre entraînant des interrogations sur l’objet livre et sa matérialité. A ce propos, de nombreux testeurs considèrent d’ailleurs cela comme une expérience littéraire et non comme une adaptation de lecture. 

Preuve de l’importance de sa nature protéiforme à l’intersection entre les arts et la technologie : dès sa popularisation, la Réalité Virtuelle a fait l’objet d’une patrimonialisation de la part de la BNF. Les productions de VR sont en effet répertoriées, classées et consultables au sein du département Son, Vidéo, Multimédia de la BNF. La collection immersive, renouvelée tous les ans, met en avant les films vidéo 360° primés aux festivals de la Mostra de Venise ou au SXSW au Texas. En partenariat avec le CNC et l’institut Français, la BNF s’est fait le prolongement de la loi DADVSI de 2006 qui étend le champ d’application du dépôt légal aux documents dématérialisés diffusés en ligne. La BNF revendique ainsi l’accès et la mise à disposition d’une technologie souvent onéreuse qui a du mal à pénétrer au sein des foyers modestes. La Réalité Virtuelle est ainsi considérée comme un véritable objet patrimonial de recherche.  

Go vers l’infini et au-delà

Source : LOS – von Klaus Merz und Sandro Zollinger. https://losvr.ch/. 

Go c’est avant tout un départ vers une nouvelle dimension dont le but, selon les mots même de ses fondateurs, est de combiner la lecture littéraire avec la réalité Virtuelle pour générer une nouvelle approche de la littérature et de la lecture. “C’est comme si vous plongiez dans le  livre de Klaus Merz et subitement vous vous retrouviez submergé à l’intérieur de l’histoire et vous expérimentiez l’entièreté de l’histoire pour vous même avec votre corps, vous devenez une sorte de témoin oculaire d’un livre audio.” relate Roman Vital. Pour Sandro Zollinger, la démarche est bien plus philosophique. “Go” s’est en effet imposé à lui telle une évidence, une manière de se confronter avec sa propre mortalité : le seul prisme selon lequel la vie acquiert un sens et peut être évaluée.  Mais pour lui l’expérience interactive de la réalité virtuelle se rapproche d’une lecture classique puisqu’il la qualifie de “personnelle et intime”. 
Avec la mise à profit de la Réalité Virtuelle, les deux concepteurs souhaitent attirer un public cible souvent jeune, extérieur au livre habituellement, pour inciter à une autre lecture et dépoussiérer les contenus livresques. Toutefois, la réalité virtuelle ne doit représenter qu’un biais d’enrichissement du texte via des caméras 360° (d’où le nom). Elle ne doit pas étouffer la prose de Klaus Merz. En complément du texte, la visualisation du lieu et la projection donnent accès à de nouvelles sensations oculaires et sonores, renouvelant les perspectives de lectures avec brio et innovation. Au travers du casque le lecteur s’ancre ainsi dans un réel quotidien qui rejoint la réalité fantasmée du livre. La voix off de l’auteur berce le texte en se superposant pour rester le plus fidèle possible à l’intimité du texte. 

Source : LOS – von Klaus Merz und Sandro Zollinger. https://losvr.ch/.

Après l’essor des livres audio en réalité virtuelle avec des rythmes binauraux et une spatialisation sonore 3D, ces techniques fournissent l’illusion de sons réels au cerveau et stimulent l’inventivité, dépaysement garanti. La plongée dans l’histoire est alors quasi réelle, car facilitée par de simples écouteurs.

La startup américaine The Voice Society a fait sa marque de fabrique avec “Koob”. Destinés à la jeunesse, ces livres mettent l’accent sur le rôle de la réalité virtuelle dans le processus de développement cognitif de l’enfant. Par sa technologie sonore de pointe, la compréhension et l’assimilation deviennent moins difficiles. D’après une étude du National Center of Biotechnology (NCBI), “en transformant ce qu’il entend en images, l’enfant travaille son imagination et l’expérience immersive qu’il vit et favorise le développement de facultés cérébrales en stimulant certaines parties de son cerveau.” Mais Koob nourrit des aspirations en dehors du secteur pédagogique et se lance dans l’adaptation de livres de fantaisie, de développement personnel à la conquête des adultes et des continents avec des traductions en anglais et espagnol.  

Réalité virtuelle et plongeon immersif dans le passé

Source : https://www.overdrive.
com/media/
5790524/la-modification

Cependant, ce changement profond de narrativité s’inscrit dans une réalité historique bien plus ancienne. Cette fascination pour l’incarnation du protagoniste par le lecteur et le bouleversement des codes littéraires remontent en effet au courant du Nouveau Roman, théorisé par Michel Butor dans son livre La Modification en 1950. L’écriture et le roman sont vus à cette époque comme médiateurs d’expérience. Dans son récit il “défriche des questions d’entrelacs temporels, spatiaux au cœur de la VR” et pousse le lecteur à investir toutes ces réalités. Via le design graphique virtuel, l’utilisateur investit un corps figuré appartenant à l’œuvre même. Ce détournement peut s’apparenter à des procédés d’écriture comme la variation de points de vue, la mise en abyme, l’exposition progressive, le pouvoir de suggestion… Tout comme le voyageur dans La Modification, coincé dans son compartiment qui fait appel à des réminiscences de ses trajets passés pour créer un voyage mental, le lecteur explore sa relation par rapport à l’espace fictif. Cette figure de mise en abyme fragmente le temps et le difracte instaurant un dialogue qui brouille nos perceptions et produit des réalités parallèles irréalisées : « Vous les lui ayez dites [ces paroles] déjà la veille ou l’avant-veille, c’est-à-dire demain » (Butor, 1957).

L’immersion fait appel à une mémoire corporelle “mobilisant la trace d’expérience antérieurs”. Cela rejoint le principe d’apprentissage du monde par le biais de l’expérience sensible de manière consciente et intentionnelle qui est nommé la phénoménologie (Depraz). La participation du corps permet de bâtir notre perception de la réalité d’où l’importance du mouvement dans la VR agissant comme un leurre. Le mouvement se fait conjointement dans les deux mondes superposés générant une exitance tangible numérique et offrant de faire corps avec nos sens en particulier la vue pour conquérir de nouveaux mondes. Une des règles clés du Nouveau Roman consiste dans le refus d’un roman psychologique qui donne à lire une réalité interprétée par un “romancier commentateur-psychologue et moraliste” (Puputti).  
Michel Butor a à cœur de raconter des histoires « de l’extérieur et de l’intérieur » en associant le livre à un langage en perpétuelle évolution et en démultipliant les fins renvoyant au principe de fins alternatives de la réalité virtuelle. De plus telle une analogie “les pensées intérieurs élargissent l’espace confiné du train comme la lecture dépasse l’espace matériel du lecteur”. Un autre procédé narratif innovant et assumé consiste à l’écriture à la troisième personne du pluriel. Avec le “vous” la focalisation devient hésitante et fait corps avec le lecteur/acteur agissant telle une collaboration. Cette focalisation détournée est le pivot de la série de Le livre dont vous êtes le héros.
Selon Alain Damasio : “Pour moi la réalité virtuelle est un médium un peu bâtard, handicapé, car la focalisation naturelle est contrainte !” (Hoguet, 2018). Mais ces contraintes peuvent tout de même être atténuées par la stratégie narrative de Michel Butor qui propose une rentrée progressive dans ses réalités diverses en prenant en compte la perte de repère du lecteur pour une meilleure appropriation. Avec la multiplication des phrases d’expositions telles de douces consignes aiguillant le lecteur vers une familiarisation en douceur. L’auteur entend ainsi les difficultés à incarner sa propre expérience en faisant un pas de côté, une sortie temporaire pour mieux le conduire à l’incorporation au sein de la réalité fictive. Mais il va encore plus loin dans l’écoute des perceptions contradictoires de ses lecteurs lorsque certaines phrases de son œuvre semblent être la traduction parfaite du mal dont souffre beaucoup d’utilisateurs de VR : la cinétose. “Cette sorte de vertige intérieur qui subsiste, qui vous reprend, malgré ce malaise, ce dépaysement qui vient du voyage et auquel vous n’auriez pas pensé être toujours aussi sensible.”  Le recours au récit fait accepter les contraintes, pour profiter pleinement de l’expérience.     

   
La VR entre limites et dérives et impacts biologiques

Si les questions que pose la VR ne datent pas d’aujourd’hui, l’infiltration de cette technologie au sein du domaine littéraire se doit d’être remise en question, car elle pose de nombreuses questions sur notre capacité à nous immerger dans un univers toujours plus dense et rapide. En ayant à cœur de repenser notre rapport à la narration et nos modèles littéraires, la VR cherche à produire un ersatz de réalité en canalisant nos sens et en provoquant une hyperstimulation sensorielle. Cette surstimulation agit comme un frein face à notre faculté d’absorption dans la contemplation. On peut aussi se demander si la création d’une littérature pleinement virtuelle ne poserait pas de problème de doublon et de mimétisme entre le texte et l’image. On perdrait en partie la beauté stylistique des descriptions aboutissant d’une certaine façon à court-circuiter l’imagination et à prendre le pas sur le cerveau pour lui livrer une image mentale fidèle mais prévisible.

Enfin malgré l’engouement très nette de la VR depuis un peu moins d’une décennie, cette technologie novatrice présente un sérieux manque d’informations à propos des effets de son utilisation récurrente sur le long terme pour notre organisme. De nombreux rapports d’études de L’ANSES ont statué sur le développement d’effets secondaires à la suite d’une exposition prolongée à la VR. On peut citer de manière non exhaustive des troubles de la vision, des malaises, confusion, sécheresse oculaire, fatigue, DMLA, vomissement… La lumière bleue a été qualifiée à long terme de toxicité rétinienne. Les personnes à risque sont donc les jeunes enfants, les femmes enceintes, les lumino-sensibles, les migraineux, mais aussi les épileptiques qui rappelons le sont au nombre d’une personne sur 4000 et qui ne peuvent pas être diagnostiqués avant l’apparition de symptômes. La VR qui possède une fréquence de fluctuation lumineuse très élevée entre 70 et 90 Hz peut donc déclencher de fortes crises généralement 5 min après la première utilisation chez ces personnes. Notre organisme entier peut donc s’en trouver déréglé à cause notamment de la perturbation de notre horloge interne.  

Souvent cité pour son aspect récréatif attrayant mais aussi thérapeutique, la VR a fait l’objet de collaborations logicielles entre hypnothérapeutes, anesthésistes et spécialistes mais son usage s’avère très réglementé dans le domaine de la santé. Pour qu’elle soit bénéfique pour l’être humain il faut faire des sessions à petite dose maximum de 80 minutes et surtout à partir d’images figées pour plonger le patient dans une atmosphère calme détendue évitant ainsi de créer du stress pour le nerf optique et un décalage avec l’oreille interne appelé cybercinétose ou plus communément mal des transports, malaise, nausée, tachycardie et touchant 30% des essais en VR. L’effort de basculement d’une réalité palpable à une autre factice est une véritable prouesse cognitive au niveau de la mise au point, la perte des autres sens au profit d’une vue trompée empêchent une bonne orientation qui peut perdurer. Plus le champ visuel représenté est étendu (référence aux paysages) plus les symptômes augmentent. Mais si on privilégie la téléportation dans un univers plutôt qu’un déplacement, cela entrave fortement les libertés d’adaptation des livres et cela revient à poser une limite définitive à la pratique. Cela pourrait même mettre des pans entiers du secteur des jeux vidéo en péril en clôturant bon nombre de jeux dépendant directement des mouvements de l’avatar incarné.  

Réalité virtuelle : réalité d’avenir ou marché juteux ? 

À défaut de disposer à ce jour d’un engouement mesurable pour la technologie VR, le marché lui semble au fil du temps de plus en plus florissant. À l’heure actuelle la taille de ce marché juteux est estimée à “67,66 milliards USD en 2024 et devrait atteindre 204,35 milliards USD d’ici 2029, avec une croissance de 24,74 % au cours de la période de prévision (2024-2029) selon le rapport de Mordor intelligence.com. Au niveau éducatif, après la jeunesse, c’est au tour de l’enseignement supérieur d’utiliser la VR pour ses cours notamment Outre Atlantique.

La Réalité Virtuelle façonne une nouvelle génération de jeux à la première personne transcendant les limites de l’immersion et du confort visuel. La sortie par Meta du casque autonome sans fil Occulus Quest 2 et le travail de développeurs chez HTC permettent à la technologie de devenir petit à petit abordable. Comptez quand même aux alentours de 600 euros pour un casque Meta ou encore 3000 euros du côté d’Apple Vision Pro. Meta actuellement leader sur le marché a vu ses ventes de casques augmenter de 42% l’an passé en Amérique. Sony, son concurrent direct, a, quant à lui, essuyé des difficultés en lien avec la connectivité entre PlayStation 5 et casque VR. Fort de son hégémonie Meta propose le suivi complet du haut du corps (IOBT) accentuant la fluidité et le réalisme des actions virtuelles. L’amélioration ne s’arrête pas là puisque le Generatives Legs (GL) ou le suivi des jambes par IA et déjà utilisée anecdotiquement pour combiner nos propres mouvements à ceux des avatars assurant un meilleur contrôle. 
Cependant, les entreprises de VR ne sont pas sorties indemne de la crise du COVID-19. Les centres de jeux VR et certains points de vente ont été fermés en raison du confinement lors de la pandémie ce qui a eu des répercussions économiques non négligeables pour le secteur. Mais l’enfermement n’a pas eu que du mauvais convertissant un maximum de la population à l’évasion dans la VR élargissant alors les horizons du marché. “Selon NewGenApps la base mondiale d’utilisateurs de jeux VR représentera 11,6 milliards de dollars d’ici 2025.  La plus grande part du marché revient aux Etats-Unis qui concentre plus de 227 Millions d’utilisateurs et dont 951 start-up se lancent dans la VR et ses applications au sein de l’industrie”, véritable moteur de croissance économique et de compétitivité.
On peut tout de même nuancer cette croissance exponentielle concernant le domaine du livre en réalité virtuelle puisque depuis 2020 et le projet GO 360° l’expansion de la VR est loin d’être au rendez-vous. On peut donc parler difficilement à l’heure actuelle d’un nouveau phénomène révolutionnant les modalités de lectures et aboutissant à une véritable démocratisation de celle-ci par le biais de la réalité virtuelle.   

Bibliographie :  


 

moranol

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
moranol (4 août 2024). Quand la réalité dépasse la fiction…  . Monde du Livre. Consulté le 12 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/124s9

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