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Monde du Livre

Révolution numérique dans la presse et le monde du livre : comment l’intelligence artificielle réinvente-t-elle ces médias ?

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Depuis toujours l’écriture est un élément majeur dans le progrès et la transmission du savoir. Au-delà de son rôle d’archive, la production écrite permet d’informer les lecteurs de l’actualité, fournit des débats critiques sur des sujets variés, facilite l’accès à la connaissance sur divers sujets et pour tous âges : c’est la mission de la presse écrite. Mais l’écriture permet aussi de faire rêver, de développer l’imaginaire, de cultiver le savoir et de conseiller des destinations : c’est la mission du livre. Aujourd’hui, du progrès technologique est née l’intelligence artificielle, et cette dernière se développe à une vitesse fulgurante. Sans surprise, elle s’immisce dans nos productions écrites et soulève de nombreux enjeux, aussi bien pratiques qu’éthiques. Dans cet article, nous nous demanderons quels sont les différents enjeux que soulève l’utilisation de l’intelligence artificielle dans nos productions écrites, aussi bien dans la presse que dans le monde du livre.

L’automatisation du processus éditorial

L’intelligence artificielle permet de réaliser des tâches plus ou moins complexes à différents niveaux. Ainsi, d’un point de vue éditorial, elle permet d’automatiser certaines tâches répétitives qui ne nécessitent pas la supervision de l’humain pour être menées à bien. Par exemple, l’intelligence artificielle peut-être utilisée pour la génération automatique d’articles, la correction grammaticale ou la vérification de la véracité des informations données.

Claude de Loupy, PDG et cofondateur de « Syllabs », le premier fournisseur d’articles rédigés automatiquement pour les médias français, déclare : « Les médias font appel à nous pour libérer du temps éditorial en effectuant des tâches qui ne demandent pas de valeur ajoutée journalistique et pour compléter une offre d’information insuffisante, voire inexistante, dans des cas où l’humain ne peut suivre le rythme des demandes (par exemple, pour l’information hyperlocale). […] Ce que nous proposons est unique. Notre technologie nous permet de produire des textes de qualité parfaite (Le Monde publie nos textes sans les relire), en très grande quantité (1,3 millions d’articles en 24 heures pour des élections), en temps réel (le texte est sur le site de notre client une seconde après réception de la data), tout en garantissant l’unicité des textes produits grâce à nos algorithmes permettant de favoriser la variabilité.[1] »

Utiles dans la presse, ces aspects sont aussi très prisés du monde éditorial. En effet, la correction grammaticale est une tâche longue et parfois fastidieuse, qui demande du temps. Ainsi, si l’intelligence artificielle peut passer en revue un texte et y corriger les principales erreurs de grammaire, c’est un gain de temps considérable pour l’éditeur. Cependant, une correction orthotypographique restera nécessaire, et celle-ci reste, dans la majorité des cas, assurée par un correcteur professionnel, car la sensibilité humaine est nécessaire pour ce genre de mission.

Là où la presse génère des articles et autres documents plus officiels, la maison d’édition peut générer des résumés de livre, voire des livres entiers sur des sujets niches qui ne seraient abordés seulement par peu d’auteurs.[2]

L’assistance dans la rédaction et la génération de contenu

Nous l’avons vu, l’intelligence artificielle est un outil remarquable dans l’automatisation de tâches longues et répétitives, mais elle peut aussi s’avérer utile dans l’assistance de rédaction et dans la génération de contenu.

Claude de Loupy nous dit : « Les journalistes peuvent utiliser ces technologies de plusieurs façons. Il y a tout d’abord la possibilité de créer de très nombreux articles à partir d’une base commune, par exemple, pour traiter de l’hyperlocal. Un journaliste voulant analyser le lien entre la pollution et le revenu moyen pourra utiliser des données globales et rédiger un article maître reprenant les éléments principaux de son étude. Il pourra ensuite produire automatiquement un texte pour chaque commune de France (si les données le permettent). Cela lui permettra d’augmenter considérablement l’intérêt de se lecteurs.[3] »

En analysant différentes données sur les tendances actuelles par exemple, l’intelligence artificielle pourrait aussi aiguiller les journalistes sur les sujets à traiter et sur les titres d’articles à privilégier pour attirer le plus de lecteurs.

L’intelligence artificielle est donc un gain de temps significatif dans la recherche de données et l’analyse des tendances, ce qui est non négligeable au vu de la quantité d’informations à traiter chaque jour. En effet, le flux d’information quotidien est important et continue d’augmenter chaque jour. De ce fait, face aux nouvelles technologies, la presse et le journalisme avaient du mal à faire face. Ainsi, « Le recours à l’automatisation est donc devenu nécessaire. En prenant en charge 8 à 12 % des tâches actuelles des reporters, l’IA permet aux journalistes de se concentrer sur un travail permettant de produire du contenu à valeur ajoutée : longs formats, grandes interviews, etc.[4] »

Dans le monde éditorial tout comme dans la presse, les éditeurs peuvent se servir de l’intelligence artificielle pour avoir une vue précise des tendances et ainsi définir avec plus de certitude les titres, les thèmes et les descriptions d’un livre à privilégier. Une multitude de textes peuvent donc être rédigés par l’intelligence artificielle. D’un simple résumé de livre à un prologue voire un chapitre entier, les possibilités sont infinies. L’intelligence artificielle peut également générer des intrigues, mais aussi aider à développer des personnages plus réalistes, plus attachants, plus percutants. L’intelligence artificielle peut également aider à améliorer un style d’écriture pour rendre une plume plus fluide à la lecture. Bien qu’elle permette aux auteurs d’être plus productifs, l’intelligence artificielle a néanmoins ses failles et ne peut pas pallier tous les attendus d’un bon ouvrage. La sensibilité de l’auteur, sa personnalité et son originalité sont des aspects qui ne peuvent être réalisés au mieux que par l’auteur lui-même.[5]

La personnalisation de l’information, de la distribution et de la recommandation de contenu

L’utilisation de l’intelligence artificielle permet de personnaliser les contenus journalistiques pour correspondre aux préférences individuelles des lecteurs. Ainsi, la lecture est plus ciblée et est donc plus susceptible de correspondre à un plus grand nombre. Avec « Syllabs », les journalistes peuvent rédiger un article sur un sujet précis nécessitant des données propres à une région (par exemple la pollution de l’eau du robinet en région parisienne), et ensuite adapter ce même article pour chaque région en ayant rapidement accès aux différentes données nécessaires. De ce fait, au lieu d’un seul article presque niche qui n’aurait intéressé qu’une faible part de la population française, l’article se « démultiplie » pour se personnaliser et s’adapter à chaque lecteur en fonction de la région où il habite.[6]

L’intelligence artificielle peut également permettre aux journalistes de connaître les tendances actuelles et les sujets auxquels les lecteurs portent le plus d’intérêt à un moment donné. La facilité d’accès à ces informations est déterminante dans le choix de publication, et cela se vaut également pour le monde éditorial. La différence réside dans l’instantanéité de la presse écrite, contrairement à la dimension plus intemporelle du livre. Il existe une multitude de genres littéraires pour plaire à une multitude de lectorats. En revanche, là où l’intelligence artificielle est déterminante, c’est dans le conseil de vente. En librairie physique, c’est le libraire qui se charge du conseil et qui aiguille au mieux chaque lecteur. Mais dans le cas de librairies en ligne, ce conseil libraire ne peut pas avoir lieu. Ainsi, il est courant que la librairie en ligne ait recours à l’intelligence artificielle pour personnaliser chaque expérience client et conseiller au mieux des livres qui pourraient lui correspondre. C’est un phénomène particulièrement visible chez les grands revendeurs tels que la Fnac, Amazon ou encore Cultura, et l’utilisation de ce « conseil client » par l’intelligence artificielle (qui n’est autre qu’un algorithme de recommandation) s’étend d’ailleurs à tout article, y compris les articles qui ne sont pas des livres.[7]

Pour autant, ce « conseil client » par l’intelligence artificielle peut également prendre place dans la presse numérique, pour conseiller au lecteur d’autres articles à lire en fonction de son historique de lecture et de ses intérêts. « [L’intelligence artificielle] peut également aider à identifier les tendances du marché et à prédire les préférences des lecteurs, ce qui peut aider les maisons d’édition à prendre des décisions plus éclairées en matière de publication[8] ». Il s’agit ainsi du même principe qu’avec les algorithmes de recommandation présents sur les réseaux sociaux, qui recommandent du contenu personnalisé propre à chacun selon les goûts et habitudes de consommation.

Le « fact-checking » et la détection de la désinformation

Initialement, la vérification des faits (ou « fact-checking ») est réalisée par les journalistes et les médias qui diffusent leurs propres informations. Mais avec le temps, de plus en plus de contenu voit le jour quotidiennement, ce qui rend la distinction entre info et intox plus délicate pour les lecteurs.

De plus, tous les médias ne sont pas nécessairement objectifs, ce qui n’est en soit pas un frein pour la vérification des informations, mais qui incite cependant certains médias à orienter les informations qu’ils délivrent aux lecteurs, parfois de façon involontaire :

« Mettre en avant les vertus d’objectivité et de plus grande proximité avec les faits – et uniquement les faits – du fact-checking revient à oublier un peu vite qu’il y a nécessairement, dans toute construction journalistique et dans tout choix de son auteur, une part d’éditorialisation, une action de reconstruction de l’actualité et donc une interprétation. Choisir un sujet à traiter plutôt qu’un autre, une citation à vérifier prononcée par tel homme politique plutôt que par tel autre, etc. ne permet pas forcément de se rapprocher de l’objectivité et a fortiori de la vérité[9] ».

L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre du « fact-checking » permet donc une vérification objective des contenus, des informations et de la diffusion de ces dernières. Elle aide ainsi les journalistes à fournir des informations précises et fiables à leur public. Cette détection d’informations fausses pourrait aussi être utile dans un contexte littéraire. En effet, les algorithmes de vérification d’informations pourraient être utilisés pour détecter les critiques trompeuses ou biaisées, aidant ainsi les lecteurs à faire des choix éclairés en matière de lecture.

Les questions éthiques et la responsabilité journalistique

Enfin, malgré tous ces avantages, l’utilisation de l’intelligence artificielle soulève plusieurs questions éthiques telles que la transparence quant à son utilisation (que ce soit au niveau rédactionnel ou algorithmique), la protection de la vie privée des utilisateurs et le maintien de normes élevées en matière de reportage et de vérification des faits. Il en est de même pour le monde de l’édition. L’intelligence artificielle étant capable de créer de l’art, les médias se doivent d’être transparents sur l’origine et les crédits de droits d’auteur de leurs images. L’utilisation de l’intelligence artificielle pour générer des images est moins coûteuse que la rémunération d’un artiste humain, donc beaucoup d’acteurs sont susceptibles d’avoir recours à cette option pour créer des illustrations en tout genre (ce qui fut d’ailleurs le cas chez les éditions Harper Collins avec le livre « The Relentless Moon »). Ainsi, l’utilisation de l’intelligence artificielle peut inquiéter quant à la pérennité des métiers qui existent dans des secteurs où elle intervient sans avoir besoin de supervision humaine.

Claude de Loupy a bien conscience de cette inquiétude et tient à nous rassurer : « La question de l’emploi, mais aussi plus généralement de l’éthique de l’intelligence artificielle est cruciale. Nous avons clairement une responsabilité en tant qu’acteur sur ce secteur, et notre but est non de détruire, mais bien de valoriser l’activité humaine. […] Les informations que nous couvrons n’entrent en concurrence ni avec le travail éditorial, ni le reportage de terrain. Nous nous positionnons au contraire comme des libérateurs de potentialité journalistique, en permettant aux journalistes de se concentrer sur ce qui fait leur valeur ajoutée et leur apport à la société : du vrai journalisme.[10] »

Nous avons dans cet article exploré différents enjeux de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la presse et dans le monde du livre, offrant une perspective plus large sur la manière dont la technologie influence l’ensemble de l’industrie de l’information et de la communication écrite. L’utilisation de l’intelligence artificielle dans ces deux domaines permet un allègement de la charge de travail et un soutient non négligeable en plus d’un boost de productivité. Bien qu’elle soulève toujours des questions éthiques face auxquelles il est important de se montrer intransigeant, l’intelligence artificielle se présente aujourd’hui d’avantage comme une aide plutôt que comme une concurrente. De plus, ce progrès technologique n’est pas encore complètement autonome et nécessite encore bien souvent une supervision humaine. Ainsi, « il est probable qu’un journaliste gagnera un jour le prix Pulitzer [NDA : le prix Pulitzer représente la plus haute distinction pour un travail journalistique aux États-Unis[11]] pour un travail impliquant une collaboration entre humain et machine[12] ». Néanmoins, l’intelligence artificielle reste une pratique encadrée et dont la portée n’a pas pour but de remplacer l’humain, mais de le soutenir dans différentes tâches et missions aussi bien personnelles que professionnelles.

[1] « Production automatique de textes : l’IA au service des journalistes », La Revue des Médias, consulté le 6 mai 2024, https://larevuedesmedias.ina.fr/production-automatique-de-textes-lia-au-service-des-journalistes.

[2] 18 Nov 2023 | Ecriture Créative, « L’IA dans l’édition de romans: Correction, révision et suggestions – ressourcesacademie.com », 18 novembre 2023, https://ressourcesacademie.com/lia-dans-ledition-de-romans-correction-revision-et-suggestions/.

[3] « Production automatique de textes ».

[4] « Intelligence artificielle : quels enjeux pour le journalisme ? », ISFJ (blog), consulté le 6 mai 2024, https://www.isfj.fr/actualites/051121-intelligence-artificielle/.

[5] Créative, « L’IA dans l’édition de romans ».

[6] « Production automatique de textes ».

[7] Redaction, « Les algorithmes de recommandation : comprendre et optimiser leur fonctionnement », Media News Room, 29 mars 2023, https://medianewsroom.fr/algorithmes-de-recommandation/.

[8] « L’avenir de l’édition à l’ère de l’IA : défis et opportunités », consulté le 6 mai 2024, https://fr.linkedin.com/pulse/lavenir-de-l%C3%A9dition-%C3%A0-l%C3%A8re-lia-d%C3%A9fis-et-opportunit%C3%A9s-zyad-chouadhi-rawve.

[9] « Le fact checking à l’épreuve des fake news », La Revue des Médias, consulté le 6 mai 2024, https://larevuedesmedias.ina.fr/le-fact-checking-lepreuve-des-fake-news.

[10] « Production automatique de textes ».

[11] « Qu’est-ce que le prix Pulitzer ? », lejdd.fr, 11 juin 2021, https://www.lejdd.fr/Medias/quest-ce-que-le-prix-pulitzer-4051009.

[12] « Production automatique de textes ».

Bibliographie – Sitographie

nivellec

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
nivellec (18 novembre 2024). Révolution numérique dans la presse et le monde du livre : comment l’intelligence artificielle réinvente-t-elle ces médias ? Monde du Livre. Consulté le 8 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12pip

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